Dans sa séance du 30 août 1876, le Conseil Général du Nord, suivant les conclusions conformes de son premier bureau, a décidé le statu quo sur le projet d’érection des trois hameaux de Canteleu en commune séparée, à la condition expresse :
« 1° Que les autorités locales remplissent toutes les formalités nécessaires pour obtenir de l’autorité diocésaine que l’église soit érigée en paroisse et puisse desservir les trois hameaux ;
2° Qu’une école de garçons et de filles soit construite à Mont-à-Camp ;
3° Que l’école de filles de Canteleu Lambersart soit rendue communale ;
4° Qu’une rétribution scolaire soit donnée par et Lomme et Lille aux écoles de Lambersart, jusqu’à construction de l’école de Mont-à-Camp ;
5° Que celle donnée actuellement par Lambersart soit maintenue ;
6° Qu’un cimetière soit établi pour l’agglomération des trois hameaux ;
7° Que des secours des bureaux de bienfaisance des communes intéressées soient donnés aux indigents ;
8° Qu’il y ait autant que possible un adjoint à Lambersart et un autre à Lomme munis des pouvoirs nécessaires pour légaliser tous les actes ;
9° Qu’il soit nommé à Canteleu un garde-champêtre ayant une action commune ;
10° Qu’une section de pompiers soit établie pour la manœuvre de la pompe qui vient d’être donnée ;
11° Qu’une section électorale soit formée pour le quartier de Canteleu Lomme ;
12° Qu’enfin l’éclairage en gaz qui existe actuellement soit maintenu. »
Dans son rapport au Conseil Général, Monsieur le Préfet fait connaître ques les conseils municipaux des communes de Lomme et Lambersart ont accepté une partie seulement des réserves ci-dessus stipulées, et que le conseil municipal de Lille, revenant sur l’adhésion q’il avait donnée primitivement à l’érection de la nouvelle commune, déclare aujourd’hui s’opposer à cette mesure, et demande même que toutes diligences soient faites pour obtenir l’annexion des hameaux à la ville, s’engageant si cette demande est adoptée, « à faire toutes les dépenses de voierie, d’éclairage, de police, de culte, d’instruction publique, de préservation contre l’incendie, enfin toutes les dépenses nécessaires à l’amélioration de ce quartier ».
Les prétentions de la ville de Lille nous ont singulièrement surpris et notre étonnement a encore été plus grand après la lecture du rapport présenté au conseil municipal et adopté dans sa séance du 3 janvier 1878.
Vraiment la ville de Lille est bien bonne de se sacrifier ainsi pour nos intérêts. Elle offre de pourvoir à tous nos besoins, de faire exécuter toutes les conditions indiquées par le Conseil Général, de faire entrer nos enfants dans les écoles primaires supérieures, les écoles académiques et le conservatoire de musique, de nous donner la faculté de solliciter de la ville des bourses pour le lycée et l’institut industriel, de nous faire établir une ligne de tramways pour nous rendre à Lille, de nous installer des fils télégraphiques pour appeler les pompiers en cas d’incendie, etc, etc, et avec tout cela, de faire diminuer nos contributions.
Nous protestons de toutes nos forces contre ces prétentions qui ne tendent à rien moins qu’à nous faire payer au profit de la ville de Lille des impôts et des droits d’octroi exorbitants et en dehors de toute proportion avec notre situation. Nous avons le ferme espoir que monsieur le Préfet et le Conseil Général ne voudront pas s’associer à une demande que nous considérons comme souverainement injuste et dont la réalisation compromettrait si gravement nos intérêts.
Dans son exposé au conseil municipal, le rapporteur fait connaître que l’industrie tend de plus en plus à se porter hors des murs de la ville. Mais quand les établissements industriels qui existent à Canteleu ont été construits, la ville de Lille avait déjà exécuté son œuvre d’agrandissement. Nous nous sommes installés ici parce que nous y avons trouvé notre intérêt et aussi pour nous soustraire aux charges de la ville. Lille a, dans sa circonscription, une quantité considérable de terra ins à bâtir. Si l’industrie se porte aujourd’hui en dehors des portes de la ville, elle s’éloignerait de Canteleu, le jour où Canteleu ferait partie de la ville. Et la preuve, c’est que depuis l’agrandissement de Lille, la partie de Canteleu Lille est restée stationnaire, tandis que l’industrie tend de plus en plus à se porter dans la partie de Canteleu Lambersart et de Canteleu Lomme, ce qui démontre que si l’annexion était votée, les établissements industriels au lieu d’aller en augmentant iraient plutôt en décroissant.
Est-ce que la commune de
On nous signale encore comme un avantage, la plus value considérable que donnera certainement aux terrains l’annexion des trois hameaux de Canteleu. Ainsi, d’une part, on se plaint de ce que l’industrie tend de plus en plus à se porter en dehors des murs de la ville par diverses raisons qu’on n’énumère pas et « notamment à cause du prix élevé des terrains » (ce qui n’est pas exact puisque les terrains de la rue de Turenne , boulevard Montebello et des quartiers voisins se vendent 7 francs le mètre, alors que chez nous le prix varie entre 10 et 15 francs), et, d’autre part, on nous annonce, comme un avantage, que nos terrains recevront une plus value considérable. Il nous paraît impossible de concilier ces deux assertions. Au surplus les nombreux ouvriers et petits marchands de Canteleu s’opposent énergiquement à ce que la ville appelle un avantage et ne se soucient pas du tout de voir augmenter leurs loyers déjà très élevés eu égard à leur salaire et à la situation actuelle de l’industrie et du commerce.
D’ailleurs nous contestons positivement cette plus value des terrains, que voit-on en effet ? Depuis nombre d’années à Canteleu Lille, pas une seule maison n’a été bâtie. Avance-t-on au contraire au-delà des limites de l’octroi, nous trouvons une bâtisse de trois ou quatre maisons en moyenne par an, tant il est vrai que l’annexion à Lille, loin d’être favorable au développement de Canteleu, lui serait plutôt nuisible.
Le résumé du rapport adopté par le conseil municipal de Lille est ainsi conçu :
« Premièrement, une unité administrative permettant d’utiliser les avantages de la situation exceptionnelle de Canteleu.
Deuxièmement, labolition de la servitude imposée aux habitants des hameaux de Canteleu qui sont obligés de perdre un temps précieux pour tous les besoins communaux (trois ou quatre kilomètres séparent ces habitants de leurs différents centres administratifs, tandis que sitôt l’annexion, une ligne de tramways les mettra en communication directe rapide avec notre mairie, la préfecture, le télégraphe, le téléphone et la gare de chemin de fer).
Troisièmement, surveillance efficace et protection des personnes et des propriétés garanties pour les cas d’incendie et autres secours, facilité de l’enseignement et des relations de la vie civile, etc ».
L’unité administrative permettant d’utiliser les avantages de la situation exceptionnelle de Canteleu n’existera qu’autant que nous serons annexés à la ville ? Mais nous ne comprenons pas cette conclusion. Comment il y aura unité quand notre mairie sera à quatre ou cinq kilomètres d’une partie des habitants de Canteleu ? Mais alors il faut faire de l’arrondissement de Lille une seule commune, l’unité sera encore autrement grande. Nous n’aurons réellement notre unité administrative que lorsque nous serons érigés en commune indépendante.
Un simple calcul montre que cette unité administrative s’impose à notre profit. D’après le rapport présenté au conseil municipal de Lille, le produit de l’octroi de Canteleu Lille s’est élevé en 1876 à 2.414 francs 42 pour 132 habitants, ce qui donne pour chaque habitant 18 francs 29, tandis que le produit de l’octroi de cette même année pour Canteleu Lomme n’est que de 4 farncs 39 par habitants. Lambersart n’a pas d’octroi.
D’un autre côté, ainsi qu’il résulte de notre projet de budget produit à l’appui de notre demande primitive et jointe au dossier, nos dépenses ordinaires sont évaluées à 13.450 francs tandis que dans le rapport présenté au conseil municipal de Lille, notre part contributive à payer annuellement à la ville de Lile est évaluée à 36.433 francs 74. C’est-à-dire environ le triple de ce qui figure à notre projet de budget.
Ces chiffres parlet assez d’eux-mêmes pour montrer les lourdes charges qui résulteraient de notre annexion, et en même temps, les avantages que nous tirerions de notre érection en commune distincte.
La ville de Lille nous dit : sitôt l’annexion, vous aurez une ligne de tramways pour vous mettre en communication directe avec la mairie, la préfecture, le télégraphe et la gare de chemin de fer. La ville n’ajoute pas que les habitants de Canteleu pourront aller en tramway « gratis » lorsqu’il s’agira des besoins communaux. Vraiment cette énonciation ne nous paraît pas sérieuse. Les tramways sont établis par une compagnie qui y voit un moyen de trafic et de bénéfice, et si la ville de Lille sollicite la concession de lignes de tramways, c’est assurément parce qu’elle y trouve également un avantage. Au surplus, on n’ignore pas que l’établissement d’une ligne de tramways à Canteleu a été stipulée dans le cahier des charges imposé à la compagnie. Ainsi l’annexion n’y ferait absolument rien. D’ailleurs, imagine-t-on l’avantage qu’il y aurait pour nos ouvriers ayant à payer 50 à 60 centimes chaque fois qu’ils auraient à se rendre à la mairie, soit pour déclarer une naissance ou un décès, chercher des papiers ou légaliser des signatures, etc, etc, sans compter la perte de deux à trois heures et l’usure de leurs meilleurs vêtements, alors qu’en quelques minutes et sans aucun frais ils pourraient avoir tous ces avantages à leur porte si nous avions une commune indépendante ? Pourquoi ne pas réunir à la ville de Lille Haubourdin,
Nos besoins, nos habitudes ne sont pas les mêmes qu’à Lille, et il ne paraît pas plus possible de nous appliquer les mesures de police de la ville. Ces mesures, pour être efficaces, doivent être spéciales à notre agglomération. On ne comprendrait pas en effet que pour le nettoiement des rues, on nous appliquât le règlement de police de la ville.
La protection des personnes et des propriétés sera également plus efficace si nous avons notre police.
En cas d’incendie, nous avons un intérêt considérable à avoir notre pompe et notre compagnie de pompiers, un fil télégraphique ne nous donnerait pas à cet égard les garanties que nous réclamons.
La distance qui nous sépare de Lille est trop grande. Les pompiers arriveraient toujours trop tard.
En résumé, nous ne pouvons plus admettre comme sérieuse la demande de la ville de Lille et le Conseil général trouvera dans les arguments produits dans le rapport adopté par le conseil municipal des raisons qui commandent impérieusement la réunion de nos hameaux en commune séparée.
Les agglomérations suburbaines ont toujours eu autour des premiers centres leur raison d’être. Autour de Paris, de Lyon, de Marseille, etc, on ne voit pas de nombreuses communes qui, si elles tirent de la ville des ressources indispensables, n’en ont pas moins leur gestion distincte.
C’est en vain que le rapport présenté par le conseil municipal de Lille semble dire que l’annexion des communes aux grandes villes leur donne la prospérité, et qu’il cite à l’appui de son assertion l’exemple de Fives et Saint-Maurice, la comparaison est complètement fausse en ce qui nous concerne. Fives et Saint-Maurice ont été augmentées par la force des choses et des circonstances, car lors de leur annexion une grande partie des maisons de Wazemmes, d’Esquermes, de Loos, etc, avaient été abattues pour les fortifications et les glacis de la nouvelle enceinte, et il était naturel que cette population se portât sur les points les plus rapprochés de Lille, vers la station de chemin de fer, vers l’usine de Fives où des milliers d’ouvriers étaient employés et où des filatures et tissages s’établissaient.
La majorité de la commission nommée par le conseil darrondissement de Lille dans sa séance du 21 juillet
Le conseil général a déterminé des conditions qui ne peuvent pas et ne seront jamais exécutées.
L’autorité diocésaine refuse de nous ériger en paroisse aussi longtemps que nous ne formerons pas une commune distincte.
Est-il juste, est-il équitable de priver toute une agglomération comme celle de Canteleu des commodités accordées aux centres administratifs ? Est-il rationnel de nous laisser sous l’administration des trois communes de Lambersart, de Lomme et de Lille situées en moyenne à trois ou quatre kilomètres de notre centre et qui ont des besoins et des intérêts non seulement différents, mais souvent contraires ? N’est-il pas en effet fort étrange de voir dans notre agglomération des maisons voisines sous le régime d’autorités différentes, en sorte que telle mesure de police qui est interdite par l’une soit permise pour l’autre ? N’est-il pas non moins étrange de voir des enfants d’une même famille envoyés à l’école l’un à Lomme, l’autre à Lambersart, l’autre à Lille, parce que les maisons sont placées de l’autre côté de la rue ? Alors surtout qu’il serait si facile d’avoir à notre porte des écoles qui leur seraient naturellement destinées. Il est démontré que notre vitalité est largement assurée. Et que l’érection demandée ne porterait pas aux communes intéressées un préjudice qui pourrait donner quelque inquiétude dans l’avenir aux moyens de leur existence. On nous offre des fonds nécessaires à l’acquisition d’un cimetière si la commune se fait. Un local de mairie est à notre disposition moyennant loyer. Et c’est dans de telles conditions qu’on tarderait plus longtemps à nous donner les satisfactions que nous réclamons à si bon droit et à si juste titre ! Nous ne le pouvons pas et nous avons le ferme espoir que Monsieur le Préfet et le Conseil Général du Nord prendront notre cause en sérieuse considération et feront acte de justice en repoussant les prétentions de la ville de Lille et en appuyant notre demande d’érection en commune séparée.
Nous nous référons pour le surplus aux renseignements produits dans nos mémoires en date du 3 juillet et 19 août 1876, et nous prions Monsieur le Préfet et Messieurs les membres du Conseil Général de vouloir bien agréer l’hommage de notre profond respect.
Pour les habitants des hameaux de Canteleu Lomme et Canteleu Lambersart
Les présidents des syndicats
Signé Verstraete et Delobel