Cahier de doléances, plaintes et remontrances pour la communauté du village de Frelinghien sur la Lys, de la châtellenie de Lille en Flandre

cahier de doléances de Frelinghien dans le pays de Weppes en 1789


1° - Les manants et habitants du village de Frelinghien demandent l’exécution de l’arrêt du Conseil d’Etat du Roi du 18 avril 1788 qui accorde à la Flandre Wallonne des Etats généraux composés des trois Ordres.
2° - Que la formation et rétablissement des Etats particuliers de cette province, organisés sur le modèle des Etats généraux, avec entre autres différences cependant que les premiers se tiendront tous les ans et qu’ils auront seuls une commission intermédiaire subsistante pendant le temps qu’ils ne seront pas assemblés, et les procureurs généraux syndics seront chargés spécialement de veiller aux intérêts de leurs concitoyens par devant les tribunaux, à l’enregistrement des lois locales et momentanées promulguées dans les intervalles de la convocation de l’Assemblée nationale lorsqu’elles pourront contenir des clauses contraires aux privilèges de leurs provinces.
3° - Les représentants de notre ordre aux Etats généraux n’y voteront aucun impôt que préalablement les Etats de la province soient établis d’une manière libre et légale et composés des trois ordres, attendu que la province doit être assurée de ceux qui feront la perception et recouvrement des impôts avant de consentir à son contingent pour l’impôt général.
4° - Qu’il soit reconnu dans la forme la plus solennelle, par un acte authentique et permanent, que la Nation seule a droit de s’imposer, c’est-à-dire d’accorder ou refuser les subsides ; d’en régler l’étendue, l’emploi, l’assiette, la répartition, la durée d’ouvrir des emprunts, etc… et que toute autre manière d’imposer ou d’emprunter est illégale, inconstitutionnelle et de nul effet.
5° - Fixer prévocablement le retour prochain, périodique et régulier des Etats généraux au terme de quatre ans pour prendre en considération l’état du Royaume, examiner la situation des finances, l’emploi des subsides accordés pendant la tenue précédente, en décider la continuation ou la suppression, l’augmentation ou la diminution, pour proposer en outre des réformes, des améliorations dans toutes les branches de l’économie politique, et dans le cas que la convocation de l’assemblée nationale n’aurait pas lieu après le délai fixé par la loi (ce qu’à Dieu ne plaise), autoriser les Etats particuliers à s’opposer à la levée des impôts et même autoriser les tribunaux de poursuivre comme concussionnaires tous ceux qui voudraient en continuer la perception.
6° - Statuer que non seulement aucune loi bursale, mais encore aucune loi générale et permanente quelconque ne soit établie à l’avenir qu’au sein des Etats généraux et par le concours mutuel de l’autorité du Roi et du consentement de la Nation, que ces lois portent dans le préambule ces mots « de l’avis et consentement des gens des trois Etats du Royaume ».
7° - La suppression des intendants, leurs pouvoirs étant trop arbitraires et très onéreux aux provinces.
8° Que la disposition des revenus des communes ne seront plus soumises à l’inspection du commissaire des parties, ni à celle des ministres.
9° - Déclarer décidément les ministres du Roi responsables de toutes les déprédations dans les finances ainsi que dans toutes les atteintes portées par le gouvernement aux droits tant nationaux que particuliers et que les auteurs de ces infractions seront poursuivis par devant les tribunaux.
10° - Que la justice soit administrée promptement et gratuitement à tous et particulièrement aux pauvres par des juges compétents et non suspects.
11° - Que les procédures soient aussi simples qu’il sera possible et ne retiennent des formes que ce qu’il en faut pour assurer à chacun la conservation de ses droits.
12° - Que l’usage des commissions extraordinaires et des évocations, soient entièrement abolis, à moins qu’elles ne soient demandées par toutes les parties intéressées dans les affaires à juger.
13° - Que tous les officiers inutiles ou surabondants pour l’administration de la justice soient supprimés.
14° - Que tous les offices, charges, commissions, places, appointements, gages, rétributions, pensions inutiles ou excessives soient aussi supprimés. C’est un des meilleurs moyens qui existent pour alléger le fardeau de l’Etat et des administrations particulières.
15° - Que l’on ne pourra jouir d’une seule grâce ou pension pécuniaire.
16° - Que les Etats généraux prennent pour l’administration et la disposition des biens du domaine la partie qu’ils jugeront le plus favorable à l’accroissement des produits nationaux, qu’ils fassent même s’ils le croient utile l’aliénation perpétuelle des biens domaniaux aux conditions et pour les destinations qui leur paraissent les plus avantageuses.
17° - Que les Etats généraux prennent une connaissance approfondie des déprédations qui peuvent avoir été commises dans l’administration des finances et des domaines de la Couronne, et employer avec sagesse, justice et fermeté les moyens les plus ppropres à réparer les pertes que la Nation avait éprouvées.
18° - Que l’agriculture, l’industrie, le sart, les sciences et le commerce jouissent de la plus grande liberté et soient délivrés du monopole qu’entraînent les privilèges exclusifs.
19° - Que les membres des Etats généraux soient reconnus et déclarés personnes inviolables et que dans aucun cas ils ne puissent répondre de ce qu’ils auront fait, proposé ou dit dans les Etats généraux, si ce n’est aux Etats généraux eux-mêmes.
20° - Que l’on obtienne la suppression du bailliage dit de la Salle de Lille et sa réunion à la gouvernance dudit Lille, étant inutile d’avoir deux juges royaux.
21° - Il est de la plus grande nécessité de faire un nouveau cadastre de tous les villages de la châtellenie de Lille pour établir un impôt uniforme. Dans le cadastre on devra faire attention à la bonne ou mauvaise qualité des terres et établir aussi l’impôt à proportion des charges dont sont grevées quelques terres particulières.
22° - Qu’il n’y ait plus aucune exemption sur les terres pour personne, de quelque rang, état et condition qu’ils soient.
23° - Que l’on supprime tous les privilèges pécuniaires des terres franches et enclavements généralement quelconques.
24° - Que le nouveau cadastre s’étende aussi sur tous les biens généralement quelconques des ecclésiastiques, nobles et autres espèces de gens privilégiés, afin qu’ils satisfassent aux contributions nationales comme tous les autres citoyens.
25° - Qu’il en soit de même pour toutes impositions, octrois, contributions et toutes autres espèces de demandes sous quelque dénomination qu’elles soient requises et accordées.
26° - Que tous les collecteurs ou receveurs particuliers des impositions et octrois généralement quelconques soient personnellement et leurs cautions responsables des deniers dont ils doivent tenir compte aux trésoriers ou receveurs généraux des provinces, leur ôtant la faculté de faire exécuter les communautés comme ils l’ont toujours fait jusqu’à présent sauf à eux à avoir recours contre leurs débiteurs après en avoir obtenu préalablement une autorisation légale des gens de loi des communautés.
27° - Que tous droits de péage, banalités généralement quelconques soient abolis ou rachetés.
28° - Que l’on fasse des règlements de police uniformes pour toutes les provinces et communes du Royaume.
29° Que l’on décharge les communautés des constructions et entretien des églises, maisons pastorales et autres, qui doivent être à la charge des décimateurs, à moins que l’on n’obtienne des Etats généraux la suppression des dîmes ecclésiastiques, aux conditions que les communautés se chargeront de la reconstruction et réparation des églises, maisons pastorales, etc… et de payer les curés et les vicaires. Le surplus servira aux nécessités des pauvres de la communauté.
30° L’abolition des droits de franc-fief et d’amortissement.
31° Rachat des droits de plantis sur tous chemins royaux ou vicomtiers à faire par les provinces pour les céder aux communautés à charge par icelles de l’entretien desdits chemins royaux passant sur leur paroisse et de paver les chemins vicomtiers.
32° Que tous les deniers provenant des impositions resteront dans la province pour en payer les charges et verser directement au Trésor royal le contingent que l’on sera tenu de payer.
33° Ques comptes annuels de toutes administrations publiques seront imprimés pour que les citoyens puissent juger de l’emploi de leurs contributions.
34° Que l’on établisse l’uniformité des poids et mesures pour tout le Royaume.
35° Que les gouverneurs des provinces et places soient obligés de résider dans leurs gouvernements au moins trois mois chaque année.
36° Une nouvelle loi qui défende les bureaux secrets de loteries étrangères sous des peines afflictives et qui accorde des récompenses aux dénonciateurs.
37° Assurer la liberté individuelle de tous les citoyens par l’abolition des lettres de cachet, d’exil et autres espèces d’ordres arbitraires sauf que dans le cas d’une nécessité absolue pour la tranquillité et l’honneur des familles il serait indispensable de soustraire un individu dangereux, alors on devra les attraire par devant un conseil ou tribunal créé et établi par les Etats généraux qui aura connaissance de ces sortes d’affaires et qui décidera du sort de la personne soumise à leur jugement.
38° Le Tiers Etat devra être aux Etats généraux, tant aux assemblées générales, chambres particulières, comités, commissions, etc…, en nombre égal aux autres ordres du clergé et de la noblesse, et devront voter non par ordre mais par tête.
39° Oublier la liberté indéfinie de la presse par la suppression absolue de la censure à la charge par l’imprimeur d’apposer son nom à tous les ouvrages et de répondre personnellement lui ou l’auteur de tout ce que ces écrits pourraient contenir de contraire à la religion, à l’ordre général, à l’honneur des citoyens et à l’honnêteté publique.
40° L’extinction de tous impôts distinctifs pour leur être substitués d’après le consentement des Etats des subsides également supportés par les trois ordres et proportionnellement aux propriétés, soit mobilières, soit immobilières de chaque contribuable.
41° Autoriser tous propriétaires à racheter à un denier convenable le droit de terrage et rentes dont leurs terres peuvent être chargées, à charge de laisser une menue censive pour conserver aux seigneurs la directe.
42° Demander que les Etats généraux fixent la manière dont on doit percevoir la dîme, et si le colza, luzerne et foin la doivent, demander aussi que les communautés soient autorisées à nommer un homme qui accompagnera toujours les dîmeurs pour s’assurer que tout se passe en règle, de faire renouveler l’ordonnance qui défend d’enlever les dîmes après le soleil couché.
43° Demander que tous les propriétaires des trois ordres soient responsables en leur nom des impôts mis sur les terres, pour éviter que la quotité d’un occupeur insolvable retombe sur les autres cultivateurs.
44° Que l’on proscrive l’usage qu’ont adopté plusieurs corps de communautés d’imposer des vingtièmes arbitraires sans autorisation pour subvenir aux frais communaux.
45° Que tous les biens mobiliers, immobiliers, patrimoniaux, achats, d’autres échéant par succession soient partagés également par tous les enfants après la mort de leur père et mère sans cependant préjudicier à leur père ou mère survivant l’un ou l’autre, qui jouiront des biens patrimoniaux ou acquêts suivant les clauses de leurs contrats de mariage.
46° Que les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants etc… représentent leurs père et mère dans les successions qui pourraient être échues à leurs dits père et mère s’ils étaient encore vivants.
47° Qu’il est nécessaire que les Etats généraux s’occupent de l’abolition des droits de permis exigés par les adjudicataires des messageries établis en fermes par le gouvernement, ce qui est très onéreux pour la majorité des sujets du Royaume tant pour ce qu’ils doivent payer pour lesdits droits de permis que pour l’interruption de leurs affaires, ce qui est très préjudiciable pour des particuliers.
48° Que l’on obtienne des Etats généraux de payer la dîme en argent plutôt qu’en nature, d’après une appréciation d’une année commune de dix, ce qui sera fort avantageux pour les cultivateurs qui pourront consumer les fourrages qu’ils récolteront, et cette manière de payer la dîme sera aussi avantageuse pour les décimateurs.
49° Que les habitants des communes soient chacun à leur tour administrateurs des biens des communautés sans aucun salaire quelconque.
50° Que les Etats généraux s’occupent de faire un règlement très rigoureux contre les banqueroutiers avec défense à tous les tribunaux d’accepter les abandons et informer judiciairement sur les motifs et causes des banqueroutes.
51° Quoique bien persuadé que notre fatale administration va changer puisque Sa Majesté nous en fait la promesse formelle par un arrêt de son conseil du 2 mars 1789 et la lettre ministérielle du 5 du même mois, nous avons cependant remarqué que ce même arrêt porte que ce ne sera qu’après la dissolution des Etats généraux soit prolongés au-delà du terme d’une année, les habitants de la province demandent avec instance qu’au préalable leur sort soit invariablement fixé et que le Roi daigne leur promettre d’une façon plus positive encore, que passée cette année les quatre Baillis des Seigneurs haut Justiciers n’auront plus aucun rapport avec l’administration de la province, que si la multiplicité et l’importance des affaires empêchaient les ministres de Sa Majesté de s’occuper de la rédaction des lettres patentes relatives à la nouvelle Constitution, les trois ordres consentiraient sûrement à payer au Roi la même somme que paient à présent les deux Flandres, de la faire parvenir directement au Trésor royal.
52° Que la culture du tabac étant fort répandue dans cette province, on demande que quoique la chasse soit ouverte les seigneurs et tous ceux qui ont des droits de chasse soient responsables des dommages qu’ils peuvent faire tant dans les dits tabacs que dans toute autre espèce d’avêture qui seraient encore sur terre et qu’ils soient tenus à des dédommagements envers les cultivateurs après visite et estimations d’experts.
DOLEANCES LOCALES ET PARTICULIERES
53° Nous plaignons de ce que MM. Les Grands Baillis des Etats de Lille s’opiniâtrent à ne point vouloir nous procurer des grés suffisamment pour l’achèvement d’un pavé à Frelinghien qui est peut-être le seul village de la châtellenie de Lille qui soit sans. DEMANDONS en conséquence qu’il y soit pourvu d’autant qu’il y a nécessité urgente et qu’au surplus nous payons ainsi que tous les habitants de la châtellenie de Lille des tailles ordinaires et de passage, dérogeant cependant à l’article 31 ci-devant quant à ce qui concerne le pavement des chemins vicomtiers.
54° Nous plaignons du droit de banalité que Madame la princesse de Lauragais comme dame d’Houplines exerce à Frelinghien qui est très ruineux aux habitants, d’autant qu’ils sont obligés d’aller à ces moulins dudit Houplines par des chemins impraticables, d’y laisser après mouture seize livres au sac de farine tandis que s’ils étaient libres ils trouveraient des meuniers qui leur feraient le même travail pour douze ; que le tout considéré après calcul fait quant à leur communauté le tort monte année commune approchant à 3.000 livres de France. En conséquence demandons la suppression sauf à elle prétendre indemnité si elle est fondée en titres.
55° Nous plaignons de ce que les grands et petits décimateurs ne contribuent pas dans les tailles d’aumônes, de passage et de faux frais, tandis qu’ils jouissent à Frelinghien à cause de leurs dîmes d’un revenu très considérable. Demandons en conséquence considérant particulièrement qu’il n’y a pas de bien à la table des Pauvres, à ce qu’ils supportent les dites charges en proportion du revenu d’icelles.
56° Nous plaignons de ce que les abbayes, monastères, chapitres et communautés et gens de main morte qui par les libéralités du souverain et la pitié des particuliers possèdent environ le tiers des biens du Royaume, sont aussi rigides dans la location de leurs biens en conséquence eu égard à la réduction qui se fait des religieux et ecclésiastiques de chaque ordre, nous demandons à ce qu’ils soient mis à portion congrue pour le reste de leur avoir être employé en fondations pour les pauvres.
57° Demandons à ce qu’il nous soit permis d’avoir pour notre sûreté personnelle et la garantie de nos biens chacun un fusil, même le pouvoir de tirer les pies et corbeaux qui ravagent les semailles.
58° Demandons à ce que la navigation soit libre et que tous tonlieux et péages soient supprimés.
59° Demandons d’avoir la liberté d’exercer dans cette communauté telles fabriques soit de toileries, filatures ou autrement sans être tenus à aucune corporation.
60° Demandons d’avoir la liberté de faire fabriquer par les brasseurs des bières de telle nature et force que nous habitants trouverons convenir.
61° Demandons que tous les deux ans il soit en assemblée convoquée procédé à l’élection et nomination de deux échevins par la suppression de deux autres que les échevins en exercice feront.
62° Que Sa Majesté en établissant et réglant les Etats provinciaux leur enjoigne à l’avenir d’avoir toujours un magasin garni de blé suffisamment pour secourir l’Etat en temps de disette.
63° Qu’il nous soit permis de replanter des halots le long des chemins aussi bien que sur des héritages contiguës de chacun sa propriété, d’autant qu’ils assureront les rives qui tombent depuis que l’arrêt du Parlement a ordonné l’abbatis.
64° Demandons d’être toujours continués dans l’exemption de la dîme de Boquette ainsi que nous avons été jusqu’à présent.
Ainsi fait, délibéré et arrêté en l’assemblée de nous habitants de Frelinghien soussignés en la chambre échevinale dudit lieu après avoir été avertis par son de cloche.
Ce jourd’hui, dix-neuf mars mil sept cent quatre vingt neuf.
Signé J. J. Laloy, suivi de 37 signatures



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